Maître Affranchi
Gardiens de la Nuit – Tome 2
Après avoir vécu une trahison douloureuse dans son passé, l’immortel Gardien de la Nuit Hamish jure de ne jamais s’engager émotionnellement avec une autre humaine. Mais quand il doit protéger la conseillère Tessa Wallace des Démons de la Peur, le désir puissant qu’il ressent pour elle transforme rapidement cette mission banale en sa plus grande épreuve.
Pris entre un danger mortel et une passion immortelle, Tessa et Hamish doivent travailler ensemble pour vaincre leurs ennemis et rétablir la paix dans une ville en plein tumulte… Et ils réalisent que tomber amoureux peut s’avérer être l’aventure la plus périlleuse qui soit.
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1
La mention conseillère Tessa Wallace était inscrite à la machine à écrire sur l’enveloppe blanche ordinaire. Pas d’adresse. Pas de timbre. Mais lorsqu’elle l’ouvrit et lut le message qu’elle contenait, Tessa se mit à trembler. Son souffle se bloqua dans sa gorge et son rythme cardiaque s’accéléra. Une sueur froide commença à perler sur sa nuque.
Pars pendant que tu le peux encore. Tu ne veux pas finir comme le dernier maire, n’est-ce pas ?
La note n’était pas signée. Mais la menace se dévoilait. Quelqu’un n’aimait pas le fait qu’elle se présentât au poste le plus élevé de la ville de Baltimore – un poste devenu vacant après la mort du maire précédent, John Yardley, deux mois plus tôt.
Pendant un moment, elle ferma les yeux, laissant échapper un soupir tremblant. Elle avait toujours su que la politique représentait un jeu sale et dangereux. Mais cette fois-ci, cela allait trop loin. La seule raison pour laquelle elle s’était jetée dans l’arène après la mort prématurée du maire était que son intérimaire, Robert Gunn, ne semblait pas l’homme de la situation. Sa rhétorique incendiaire ne faisait qu’aggraver les troubles civils qui faisaient rage dans la ville. Cette ville avait besoin d’un pacificateur, pas d’un politicien ambitieux qui n’hésitait pas à prendre des décrets limitant les droits des minorités. Il allait même jusqu’à encourager les brutalités policières à l’encontre des Noirs et des Latinos, tandis que les voyous blancs bénéficiaient d’un passe-droit. Les rapports sur les fausses arrestations à motivation raciale et les saisies illégales de biens s’accumulaient, et Gunn n’y voyait rien de mal.
Mais, malgré le fait que Gunn était un très mauvais choix pour le poste de maire, elle ne pensait pas qu’il ferait quelque chose d’aussi imprudent que de la menacer. Cependant, elle pensait que ses nombreux partisans essaieraient de l’effrayer, ce qui lui permettrait de se présenter à la mairie sans opposition.
Un bref coup frappé à la porte la fit sursauter plus qu’il n’aurait dû. Avant qu’elle ne pût répondre, la porte s’ouvrit avec fracas et Poppy Connor, sa directrice de campagne, entra en trombe. Cette femme, une rousse aux formes arrondies douée de plus d’énergie qu’un lapin Energizer, brandit une feuille de papier et afficha un sourire triomphant.
— Tout chaud ! Les derniers chiffres des sondages.
Poppy faillit trébucher sur ses propres pieds en se rendant au bureau, où elle posa la feuille devant Tessa.
Automatiquement, Tessa y jeta un coup d’œil, mais elle n’eut pas le temps de lire les chiffres avant que Poppy n’annonçât :
— Tu as cinq points d’avance. Bois un verre pour fêter l’événement.
L’excitation débordait de sa voix et colorait son visage. Comme si Poppy avait besoin d’une raison pour boire. Elle avait toujours été une fêtarde.
Tessa força un sourire.
— C’est encore dans la marge d’erreur.
Poppy fit claquer sa langue.
— Tu n’as pas dit ça quand Gunn comptait cinq points d’avance sur toi il y a deux semaines.
Elle pointa à nouveau la feuille du doigt.
— Je veux dire, regarde ! C’est un écart énorme en seulement deux semaines. Je pense que notre approche fonctionne. Tu séduis les gens. Ils voient quelque chose en toi.
Tessa haussa les épaules, incapable de profiter de la bonne nouvelle, l’effet de la note menaçante persistant encore.
— Oui, je suppose.
Sa directrice de campagne lui jeta un regard interrogateur.
— Tu supposes ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Je pensais que tu sauterais de joie à cette nouvelle. N’est-ce pas ce que tu souhaites ? Tu ne veux pas gagner ?
Tessa leva les yeux au ciel.
— Si. Les habitants de Baltimore méritent mieux que Gunn. Mais…
— Mais quoi ? Ne me dis pas que tu n’as pas les tripes pour ça. Je sais que les gens t’ont attaqué pour ta jeunesse et ton inexpérience, mais tu ne peux pas te laisser abattre.
— Ce n’est pas le cas.
Elle hésita, se demandant si elle devait parler de la lettre à Poppy. Elle prit quelques respirations. Peut-être qu’il valait mieux l’ignorer. Quelqu’un ne voulait pas qu’elle fût maire. Ce n’était pas vraiment une surprise.
Tessa colla un sourire sur son visage.
— Je suis juste un peu épuisée.
Elle ramassa le morceau de papier et étudia les chiffres du sondage de plus près.
— Ces chiffres ont l’air vraiment bons.
Poppy se pencha plus près et regarda par-dessus son épaule.
— Et regarde les électeurs hispaniques et noirs.
— Je suis très en avance avec cet électorat.
— Tu déchires dans ce domaine démographique ! confirma Poppy.
— Mais nous devons mettre les syndicats de notre côté. As-tu organisé la discussion au…
— Qu’est-ce que c’est ?
La main de Poppy fusa devant l’épaule de Tessa, désignant la note qui gisait exposée sur le bureau, maintenant que Tessa avait déplacé la feuille de sondage.
— Ce n’est rien.
Tessa fit une tentative pour l’arracher avant que Poppy ait pu la prendre. Trop tard.
Poppy s’éloigna, parcourut la note, puis la brandit.
— Rien ? C’est une menace de mort ! Bon sang, Tessa, quand est-ce que tu as reçu ça ?
— C’était sur mon bureau quand je suis revenue de la réunion du conseil. Il s’agit probablement d’un fou furieux.
Elle prit la note des mains de Poppy.
— Je ne le prends pas au sérieux.
Même si les mots menaçants lui avaient fait peur au début, elle n’allait pas l’avouer à Poppy. Moins elle le montrerait, mieux ce serait.
— Si je prenais chaque menace stupide au sérieux, je n’arriverais pas à travailler.
Poppy se figea.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Je viens de te le dire : Je ne le prends pas au sérieux.
Poppy secoua la tête et agrippa les épaules de Tessa, la tirant presque de sa chaise.
— Regarde-moi.
Elle rapprocha son visage.
— Tu insinues que ce n’est pas la première menace que tu reçois ?
Le souffle de Tessa se coupa. Elle n’avait jamais excellé dans le mensonge. Peut-être n’aurait-elle pas dû devenir politicienne. Son père lui avait toujours dit que son honnêteté la desservait dans cette profession. Trop bonne, quoi que cela voulût dire.
Les yeux de Poppy s’écarquillèrent.
— Oh, mon Dieu ! Tu as reçu d’autres menaces de ce genre, n’est-ce pas ?
— Je n’appellerais pas ça des menaces, dit Tessa, tentant de désamorcer l’inquiétude de Poppy.
Comment les appellerais-tu alors ?
Tessa haussa les épaules. Elle se trouvait sans réponse. Au lieu de cela, elle ouvrit le tiroir supérieur de son bureau. À l’intérieur se trouvaient plusieurs autres notes, toutes susceptibles de provenir du même expéditeur, bien qu’avant aujourd’hui, les messages s’apparentaient plutôt à des suggestions qu’à des menaces.
Poppy sortit quelques notes du tiroir.
— Oh merde, Tessa !
Tessa observa en silence Poppy qui survola les notes.
— Quand as-tu reçu le premier ?
— Quelques semaines après avoir annoncé ma candidature à la mairie.
Poppy pointa du doigt le reste des notes.
— Je vais prendre ça.
— Qu’est-ce que tu vas en faire ?
— Les montrer à quelqu’un qui peut t’aider.
Tessa se leva d’un bond.
— Je peux me débrouiller toute seule !
Poppy appuya ses mains sur ses hanches.
— Non, tu ne peux pas. Pas quand on parle de quelque chose d’aussi sérieux que ça. Tu as besoin d’un professionnel.
— Un professionnel ?
— Oui, quelqu’un qui peut te protéger, parce qu’en tant que directrice de campagne, je ne suis pas seulement responsable de t’obtenir des voix, je dois aussi assurer ta sécurité.
Elle pointa du doigt la note d’aujourd’hui.
— Je ne vais pas rester les bras croisés alors que quelqu’un veut clairement ta mort. Je serais une piètre une amie si je le faisais.
— Tu ne peux pas me passer au-dessus de la tête à ce sujet ! protesta Tessa. Je me sens en sécurité. C’est juste un électeur mécontent qui préfère que Gunn soit maire.
— Combien de votants mécontents connais-tu qui profèrent des menaces de mort ?
Poppy lui jeta un regard sévère.
— Tu bénéficieras d’une protection, et c’est tout.
À présent, la fureur animait Tessa. Elle se leva d’un bond.
— Si tu le fais, je te vire !
— Fais ce que tu as à faire, mais si tu n’acceptes pas la protection, je vais montrer ça à ton père. Nous verrons sa réaction.
Tessa baissa le menton. Si son père pensait que le danger la menaçait, il se rendrait personnellement à l’hôtel de ville et la placerait sous protection. Il avait toujours veillé sur elle, mais même lui n’avait pas pu la protéger tout le temps. Il l’avait laissée tomber une fois, et cela l’avait rendu encore plus surprotecteur. Elle n’avait pas l’intention de l’inquiéter pour une chose pareille. Il avait déjà bien assez à faire.
— Tu n’oserais pas !
— Oh, j’oserais, sans hésiter !
Poppy croisa les bras sur sa poitrine.
— Tu as le choix.
Tessa serra ses lèvres l’une contre l’autre, sachant qu’elle avait perdu cette manche.
— Je n’aurais jamais dû t’embaucher. L’amitié et les affaires ne font clairement pas bon ménage.
Poppy sourit gentiment.
— Chérie, m’engager constitue la meilleure décision que tu aies jamais prise.
2
Hamish sortit du portail qui l’avait amené de son bastion à celui-ci situé à des milliers de kilomètres de là. Le voyage n’avait duré que quelques secondes. C’était le principal mode de transport des Gardiens de la Nuit, qui l’utilisaient pour agir rapidement en temps de crise. Mais c’était aussi leur talon d’Achille : si un démon pénétrait dans l’un de leurs portails, il pourrait accéder à n’importe quelle forteresse de leur race et la détruire de l’intérieur.
Cinead, membre du Conseil des Neuf, leur organe dirigeant, l’attendait déjà.
— Tu es venu rapidement, dit l’homme d’État plus âgé, qui parlait avec son fort accent écossais.
— Tu as donné l’impression que c’était urgent.
— C’est le cas.
Il fit un signe vers le couloir.
— Viens avec moi.
Alors qu’ils marchaient dans le dédale de couloirs, Hamish jeta un coup d’œil à l’homme qui avait toujours été un mentor pour lui. Vêtu d’un pantalon sombre et d’une chemise Polo claire, il dégageait une silhouette saisissante. Dans ses jeunes années, Cinead avait été un guerrier intrépide, avant de décider de consacrer sa vie à guider sa race en tant que membre du Conseil des Neuf. Mais aujourd’hui, il avait l’air fatigué et solennel.
— Qu’est-ce qui te préoccupe ?
Hamish se sentait obligé de demander.
Cinead sourit, mais c’était forcé.
— Beaucoup de choses.
Il indiqua une porte et la franchit, disparaissant sous les yeux de Hamish.
Hamish suivit, laissant son corps se désintégrer pour pouvoir passer à travers le bois massif et se réassembler derrière, une capacité singulière à son espèce.
Il était entré dans une grande bibliothèque avec un coin salon confortable et des livres empilés sur des étagères à perte de vue. Cinead se dirigea vers la cheminée et toucha le cadre d’un petit tableau. Hamish avait vu le tableau de nombreuses fois : un bébé garçon allongé sur une peau d’ours. Le garçon aux cheveux bruns gisait sur le ventre, nu, une petite tache de naissance en forme de hache ornant l’une de ses fesses.
— Il aurait le même âge que toi, s’il avait vécu, murmura Cinead dans le silence.
Un écho inquiétant accompagna ses paroles, comme si les fantômes des morts murmuraient à leur tour.
Hamish déglutit difficilement, réalisant soudain l’importance de la date d’aujourd’hui.
— Ça fait combien de temps ?
— Deux cents ans jour pour jour, dit Cinead en se tournant vers lui, depuis que les démons l’ont tué. Il n’était qu’un petit garçon, encore en couches.
Il se dirigea vers le canapé et s’assit, faisant signe à Hamish de faire de même.
Il s’exécuta.
— Je suppose que je deviens sentimental en vieillissant.
Ce n’était pas que Cinead eût l’air vieux ; les gens de leur espèce ne vieillissaient pas vite. Même à près de cinq cents ans, Cinead ne paraissait pas plus vieux qu’un homme à la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine. Ses yeux, cependant, reflétaient la sagesse et l’expérience de sa longue vie, ainsi que la douleur et les épreuves qu’il avait vécues.
— Tu voulais me voir pour cette raison ? Pour te remémorer des souvenirs ?
Si c’était le cas, il ne lui en voudrait pas. Cinead avait joué le rôle d’un deuxième père pour lui après la mort d’Angus, le seul enfant de Cinead, aux mains des Démons de la Peur, leurs ennemis mortels.
L’aîné des Gardiens de la Nuit secoua la tête.
— Tu me fais penser à lui, ou plutôt à la façon dont j’imagine qu’il se comporterait maintenant, s’ils ne l’avaient pas enlevé. Pourtant, je ne t’ai pas appelé pour parler du bon vieux temps.
Il sourit.
— Je me sens fier de toi, Hamish, pour tous tes succès en tant que gardien.
Quelque peu gêné par ces éloges ouverts et inattendus, Hamish répondit :
— Tout cela grâce à tes conseils.
— Tu te sous-estimes. Encore un de tes traits positifs, comme ton jugement. Tu aurais fait un membre exceptionnel du Conseil des Neuf et…
— Je t’ai dit les raisons pour lesquelles je refusais de siéger au Conseil et je pensais que tu comprenais…
— J’ai compris.
Cinead leva la main dans un geste d’apaisement.
— Ne t’inquiète pas. Tu n’es pas ici pour que je te persuade de faire quelque chose qui te rebute. De toute façon, les deux postes vacants au Conseil sont pourvus en ce moment même. En fait, ta décision me réjouit : tu nous es plus utile sur le terrain en tant que gardien. Surtout maintenant.
Instantanément en alerte, Hamish sentit sa colonne vertébrale se raidir.
— De quoi as-tu besoin ?
Cinead sourit doucement.
— Toujours le soldat enthousiaste. C’est bien. C’est une situation délicate, qui exige un homme de ton jugement et de ton expérience. Un homme qui ne laissera pas ses sentiments entraver son devoir.
Hamish leva un sourcil mais ne l’interrompit pas. Des sentiments ? Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu de sentiments. Les sentiments avaient failli le tuer une fois ; depuis, il avait enroulé une lourde chaîne autour de son cœur, une chaîne qu’il n’avait pas l’intention d’enlever un jour. Il restait toujours aussi loyal envers ses collègues Gardiens de la Nuit, en particulier envers les hommes et les femmes de son camp. Mais il traitait toute personne extérieure –en particulier celles qu’il était chargé de protéger– avec une distance froide et une méfiance mesurée. La confiance, il l’accordait de moins en moins ces derniers temps, car faire confiance à la mauvaise personne pouvait signifier la fin pour lui, ou pour ses frères et sœurs.
— … des troubles civils et des émeutes. Nous ne pouvons pas permettre que cela continue. Tu comprends ?
Tout à coup, il se rendit compte que Cinead avait commencé à parler et qu’il avait manqué la moitié de la conversation.
— Oui.
Il acquiesça rapidement et lança à Cinead un regard plein d’attente, l’incitant à développer.
— Tout se passe dans ton arrière-cour. Nous savions que des problèmes émergeraient après la mort inattendue du maire Yardley, mais nous ne pouvions pas anticiper l’ampleur que cela prendrait.
Hamish commençait à comprendre de quoi Cinead parlait : Baltimore, l’endroit où il se sentait chez lui. Il s’avança sur son fauteuil, un véritable intérêt naissant en lui. Bien qu’il se sentait prêt à aller partout où le Conseil l’envoyait, il préférait les missions près de chez lui, car il avait l’impression – tout comme une équipe de football – que cela lui donnait l’avantage du terrain. Et au cours des deux derniers mois, les choses avaient dégénéré : la criminalité avait grimpé en flèche, les manifestations étaient devenues violentes et des émeutes avaient éclaté.
— Tu soupçonnes des démons d’être impliqués dans les troubles actuels ?
Après tout, c’était logique. Les Démons de la Peur prospéraient grâce aux troubles civils, à la haine et à la peur. Cela les rendait plus forts. Ils saisissaient toutes les occasions d’inciter à la violence, afin de pouvoir se nourrir de la peur qui en résultait. Ainsi, ils pouvaient devenir plus forts et un jour sortir de leur zone de confort et régner sur l’humanité. Et la seule chose qui se dressait entre les humains et leur probable destin était les Gardiens de la Nuit, qui s’étaient donné pour mission de contrecarrer les plans des démons.
Cinead tapota ses doigts contre ses lèvres.
— Je me demande si c’est le cas. Ce que je sais, cependant, c’est qu’une personne peut mettre fin à tout cela et ramener la paix dans la ville. Nous avons de grands espoirs en elle.
— Elle ?
Cinead acquiesça.
— La conseillère municipale Tessa Wallace. Elle comprend le sort des personnes défavorisées de la ville. Ils croient en elle. Elle se présente à la mairie.
Hamish acquiesça d’un signe de tête.
— J’ai vu quelques reportages. Elle représente certainement un meilleur choix que Gunn.
Puis il haussa les épaules.
— Et je crois que les électeurs le savent. Nous n’avons rien à faire.
— Au contraire.
Hamish haussa un sourcil.
— Un de nos émissaires a fait savoir que la conseillère avait reçu des menaces de mort.
— Des démons ?
— Nous n’en sommes pas sûrs. De toute façon, si elle sort de la course, cela ne fera que jouer en faveur des démons. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. En deux mois de mandat en tant que maire par intérim, Gunn a déjà semé trop de troubles, et il ne semble pas avoir l’intention de calmer ses administrés. Au contraire : ses discours et ses actions ne font qu’inciter à plus de violence, plus de protestations. Il divise les différentes fractions de la ville. Les relations raciales sont assises sur un baril de poudre susceptible d’exploser à tout moment. Nous craignons le pire s’il remporte les élections. Mais si…
— … si la conseillère gagne, tu penses qu’elle peut redresser la ville ?
— Avec notre aide, oui.
Il se pencha en avant.
— C’est pourquoi je t’ai demandé de venir ici.
— Tu veux que je la protège et que je m’assure que celui qui a proféré ces menaces de mort n’aura pas l’occasion de les mettre à exécution, devina Hamish. Rien de plus facile.
Ce serait comme toutes les autres missions qu’il avait eues par le passé. Ce qui soulevait la question de savoir pourquoi Cinead se donnait la peine de lui demander de le rencontrer en personne, alors qu’il aurait tout aussi bien pu envoyer la mission par les voies habituelles.
— Oui, mais ce n’est pas tout. Je veux aussi que tu t’assures qu’elle reste sur le bon chemin. Je veux que tu lui prêtes de la force face à l’opposition qu’elle rencontrera.
Les sourcils de Hamish se froncèrent.
— Comment dois-je faire, vu qu’elle ne saura même pas que je la protège ?
Cinead sourit, et pendant un instant, il crut reconnaître une petite lueur d’espièglerie dans les yeux de l’autre.
— C’est en cela que cette mission se distinguera des précédentes. Elle saura que tu es son protecteur.
Hamish se leva d’un bond.
— Tu veux dire qu’elle saura que je suis un Gardien de la Nuit ?
Cinead gloussa.
— Bien sûr que non. Nous n’irons pas aussi loin. Elle croira que tu es un garde du corps humain, engagé par un riche partisan qui veut s’assurer de sa sécurité. Mais ce n’est pas tout. Les personnes qui l’entourent ne doivent pas savoir qui tu es. Pour eux, tu seras présenté comme son petit ami. Cela te donnera un accès sans précédent…
— Arrête !
Hamish passa une main dans ses cheveux noirs.
— Avec tout le respect que je te dois, c’est hors de question. Je ne suis pas la bonne personne pour ce genre de mission.
— Au contraire, tu es la personne idéale pour cette mission.
— As-tu oublié ce qui m’est arrivé ?
Parce que lui n’avait pas oublié. Comment aurait-il pu oublier la trahison de la femme qu’il avait aimée ? Une trahison qui avait failli lui coûter la vie. Et maintenant, son aîné attendait de lui qu’il fît semblant d’aimer une humaine ?
La voix de Cinead se fit douce et paternelle lorsqu’il poursuivit :
— Non, je n’ai pas oublié ce que tu as vécu. Et voilà pourquoi tu es le candidat idéal. Tu as goûté à la trahison. Tu en as vu les signes. Tu es mieux préparé que n’importe qui d’autre. Tu préfères vraiment que je confie cette mission à Manus ? Ou à Logan ? Ce sont de bons gardiens, ne te méprends pas. Mais ils ne pourraient pas résister au leurre d’une femme comme Tessa Wallace. Pas s’ils doivent faire semblant de sortir avec elle.
— Leurre ?
De quoi diable Cinead parlait-il ? Il avait vu des photos de la conseillère, et, bien qu’elle soit assurément très attirante, voire belle, il ne comprenait pas le danger. Bien sûr, Manus avait la réputation d’être un coureur de jupons, mais il doutait que Cinead le sût. Leur bastion représentait un groupe très uni. Ils ne bavardaient pas et ne révélaient pas de secrets non plus.
— Ce n’est pas sa beauté qui captive les hommes, même si elle les attire certainement vers elle. C’est son âme.
Il arqua un sourcil.
— Son âme ?
— Elle est irréprochable de bout en bout. Tout ce qu’elle fait, c’est pour le bien des autres. Son corps ne contient pas la moindre once de malveillance, et son esprit est exempt de toute mauvaise pensée.
— Comment le saurais-tu ?
— Notre émissaire la surveille depuis de nombreuses années. J’ai confiance en lui et en son jugement. Tout comme je fais confiance au tien.
Cinead se leva lentement et franchit la distance qui les séparait.
— Je sais que ton cœur s’est brisé lorsque tu as perdu la femme que tu aimais, et j’aimerais pouvoir changer les choses, mon fils, mais je ne le peux pas. Cependant, ce cœur brisé pourrait bien être la seule chose capable de te permettre de traverser cette mission sans aucune implication émotionnelle. Je ne peux pas en dire autant de Logan ou de Manus. L’un ou l’autre peut faire intervenir des émotions dans cette mission, ce qui mettrait en péril notre objectif. Elle doit devenir maire. Baltimore a besoin d’elle. On doit interdire qu’on l’égare.
Hamish baissa ses paupières et soupira. Il n’avait pas l’intention de retomber amoureux. Cela comportait trop de dangers. Mais cela ne voulut pas dire qu’il aimait cette mission. L’ensemble de la configuration n’était pas très orthodoxe. Trop de choses pouvaient mal tourner. Les Gardiens de la Nuit opéraient dans l’ombre. On leur avait donné des compétences pour s’assurer qu’ils restent cachés : la capacité de se camoufler (qu’ils pouvaient étendre à leurs protégés, soit par l’esprit, soit par le toucher, le premier nécessitant plus d’énergie que le second) et la capacité de traverser les murs (une compétence qu’ils ne pouvaient pas étendre à leurs protégés).
Et maintenant, Cinead voulait qu’il opérât au grand jour ? Au vu et au su de tout le monde ?
— Et les démons ?
— Et eux ?
— Ils comprendront ma nature dès qu’ils me verront avec elle.
Ils reconnaîtraient son aura comme celle d’un Gardien de la Nuit, une chose que seules les autres créatures préternaturelles pouvaient voir. Les humains manquaient de cette compétence.
— Je sais. Mais nous n’avons pas le choix. D’ailleurs, d’après les rumeurs que nous entendons sur leur nouveau dirigeant, nous devons supposer qu’ils emploient des tactiques différentes maintenant. Zoltan surpasse son prédécesseur en innovation. Il découvrira de toute façon que nous la protégeons. Il est trop intelligent pour penser que nous laisserions quelqu’un d’aussi précieux que Tessa Wallace sans protection.
Résigné, Hamish regarda droit dans les yeux Cinead.
— Qui veux-tu que je choisisse comme second ?
— Enya. Cependant, je veux qu’elle travaille dans le secret. Mlle Wallace ne doit rien savoir d’elle. Juste au cas où nous aurions besoin d’un atout dans notre manche.
Au moins, avec cet ordre, Hamish pouvait être satisfait.
— Très bien.
Enya, la seule femme de son entourage, servirait de sauvegarde lors des moments où il devrait s’absenter de sa protégée. Un choix judicieux, car malgré son caractère piquant, Enya était une excellente guerrière, et en tant que femme, elle serait immunisée contre tous les charmes de Mlle Wallace.
Tout comme il serait immunisé contre eux.